Les premiers amateurs de tennis: gens d'affaires ou militaires?

Le 17/05/2021 0

Dans 150 ans de tennis à Québec

Comment le tennis a pu arriver à Québec seulement deux ans après sa création en 1874? Soit à cause des gens d'affaires, soit à cause des militaires ou un peu des deux.

La première indication que le tennis se pratique à Québec nous est donnée par un petit encart publicitaire paru dans le Quebec Morning Chronicle du 14 juin 1876. S Boyce, commerçant de la rue St-Jean, annonce en même temps que des « vélocipèdes » à trois roues et des voiturettes pour enfants, « Lawn Tennis, Badgminton [sic] and Croquet Games ».

Dès l'été suivant, un autre commerce entre dans le jeu. Le European Bazaar, Côte de la Fabrique, propriété de Gustavus Seifert, annonce le 4 septembre 1877, toujours dans le Morning Chronicle, le même genre d'articles : « the new and popular games of lawn tennis and badminton ».

Cette publicité du European Bazaar est la première d'une longue série qui se poursuivra chaque année jusqu'en 1896. Le magasin devient en effet le seul annonceur de matériel de tennis dans le Chronicle - et vraisemblablement le seul détaillant à Québec - pour au moins vingt ans. Chaque été, sauf rares exceptions, le European Bazaar reconduit sa publicité à propos du tennis. La saison de publication commence fin mai-début juin et se poursuit jusqu'en septembre. À plusieurs occasions, le renouvellement de l'encart publicitaire en cours de saison nous fait conclure qu'il y a eu plusieurs arrivages de stock (1).

Publicité de jouets et de sport, 1876

(Quebec Chronicle, 14 juin 1876)

Publicité de sport, 1877

(Quebec Chronicle, 4 septembre 1877)

On se doute bien que les équipements vendus Côte-de-la-Fabrique ne sont pas fabriqués ici. Le magasin de Seifert ne s'appelle pas « European Bazaar » pour rien. C'est un magasin d'importation qui offre autant des vêtements et des bijoux que des articles de sport. Il reçoit de toute évidence ses marchandises par bateau, donc d'outre-mer. À preuve, les publicités sont de temps en temps coiffées par un titre qui fait référence au bateau à vapeur (« S.S. » c'est-à-dire « steamship ») qui les a transportées; par exemple: « Received by S.S. Gamma », ou « Received from S.S. Sarmatian (2) ».

Si l'offre se maintient, comme le laisse croire l'existence de la publicité, c'est que la demande est soutenue. Le tennis n'est pourtant pas un sport bien ancien. On sait que le premier règlement a été publié en 1874 par le major Walter Wingfield et qu'un premier match devant public a été joué sur les pelouses royales en 1875(3). Comment donc cette nouveauté a donc pu arriver si rapidement de ce côté-ci de l'Atlantique?

Avant 1900, il y a dans la population anglophone de Québec une proportion appréciable de personnes nées en Angleterre, qui sont certainement restées en contact avec ce pays et informées de ce qui s'y passe. On compte aussi dans ce même groupe plusieurs gens d'affaires en relation avec des partenaires dans la mère-patrie. Il est fort possible qu'au cours de voyages d'affaires dans la métropole, ils aient pris connaissance de cette invention et décidé de l'adopter. Ce pourrait être le cas de Richard Dobell, par exemple, important commerçant de bois que l'on retrouvera pendant plusieurs années président du premier club de tennis à Québec, le Quebec Lawn Tennis Club. D'ailleurs, une photo montre des membres de sa famille pratiquant le tennis devant Beauvoir, sa résidence à Sillery.

(À droite, Walter Wingfield, considéré comme l'inventeur du tennis. Illustrated Sporting and Dramatic News,  juin 1881)

 

Walter Wingfield considéré comme l'inventeur du tennis. (Illustrated Sporting and Dramatic News,  juin 1881)

Beauvoir, résidence de Richard Dobell, à Sillery

On joue au tennis à Sillery devant Beauvoir, résidence de Richard Dobell, homme d'affaires. (BANQ, fonds Livernois)

 

L'équipe canadienne au concours de tir à Wimbledon, 1875

(Quebec Chronicle, 12 juillet 1875)

Une autre hypothèse paraît tout aussi plausible. Les militaires de l'époque sont toujours près de l'activité sportive, quand ils n'en sont pas eux-mêmes à l'origine, comme le major Wingfield pour le tennis. Or, une équipe canadienne de fusiliers participe au mois de juillet de chaque année aux compétitions de tir de l'Empire britannique tenues à... Wimbledon. Le Chronicle suit leurs activités avec intérêt. Les tireurs sont choisis parmi l'élite des troupes canadiennes; certains d'entre eux sont basés au Québec ou même dans la ville, où est cantonné le 8e régiment de fusiliers, le « 8th Royal Rifle ». Par exemple, en 1875, le Canada délègue vingt participants, dont trois de la province de Québec(4). À l'occasion, des membres de la « Wimbledon Team » originaires de l'Ouest passent  aussi par Québec afin de s'embarquer pour l'Angleterre(5). Mieux encore, on sait que, dans l'équipe choisie pour 1879, il y a un membre du 8th RR, le capitaine Balfour(6).

La compétition de tir à Wimbledon a très bien pu fournir l'occasion à ces militaires de prendre connaissance du nouveau sport, s'intéresser à sa pratique, communiquer la « bonne nouvelle » aux autres militaires. On en retrouve même impliqués dans la gestion du club de Québec, comme le lieutenant-colonel Montizambert, élu vice-président en 1889(7).


Les indications nous manquent pour déterminer lequel de ces deux groupes sociaux aura eu la plus grande part dans la venue du tennis à Québec. Chose certaine, la conjonction des deux aura donné l'élan nécessaire.

Notes

1. Voir par exemple Quebec Morning Chronicle (QMC), 12 septembre 1882, p. 2, « Field Games! »; 18 septembre 1883, p. 2, « Received From SS Sarmatian ».
2. Voir par exemple QMC, 13 août 1878, p. 2, « Received by S.S. Gamma » ou 16 juillet 1883, p. 2, « Received from S.S. Sarmatian ».
3. QMC, 14 août 1885, p. 4, « Sporting News – The Origin of Lawn Tennis »; l'article est repris de la Pall Mall Gazette, de Londres.
4. QMC, 12 juillet 1875, p. 2, « The Wimbledon Team ».
5. QMC, 19 juin 1876, p. 3, « Local Items – For Wimbledon ».
6. QMC, 21 août 1878, p. 1, « The Wimbledon Team ».

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